22 octobre 2022                          ERNEST GABARD L'ARTISTE BÉARNAIS  

          par Jacky DECAUNES   

   

 

 

Béarnais pur jus, Jacky DECAUNES, né à Pau en 1955, est l’auteur d’un ouvrage récompensé par un Prix de l’Académie de Béarn en 2000, préfacé par le professeur Christian DESPLAT : « Flânerie de Pau à l’ Aubisque ». Ami de la famille Gabard, il en a obtenu de nombreux documents pour écrire l’ouvrage retraçant la vie et l’œuvre d’« Ernest Gabard : un artiste béarnais ». Son dernier livre « Histoires de l’eau en Béarn » le conduira peut-être à nous donner une autre conférence…

Né à Pau le 19 mai 1879, Ernest Gabard perd ses parents très jeune. Élevé par un oncle et une tante, il ne cesse de dessiner et de sculpter. C'est à Billère, avec le sculpteur Alexandre qu'il débute à seize ans. Sa vocation est d'une telle évidence que sa famille accepte son départ à Paris pour les Beaux-Arts. Il rencontre Théodore Lanne, né à Pau le même jour que lui. Complices d'art, les adolescents fraternisent. Théodore fait ensuite admettre son ami dans l'atelier de Jules-Gabriel Thomas. Ernest se découvre une passion spécifique : captivé par l'anatomie, il est toujours le premier au cours du professeur Cuyer. Cet enseignement est la clef de voûte de son œuvre.

Mais le séjour d'Ernest Gabard dans la capitale aura tout du parcours du combattant !

Côté sculpture, il est en froid avec Thomas qui ira jusqu'à écrire à son oncle : « Votre pupille est né pour être épicier et non sculpteur ». La raison de cette hostilité ? Du haut de ses dix-sept ans, l'élève a tenu tête au maître. Regardant un modelage d'après nature, Thomas a jugé : « Cette jambe est trop courte ! ». Faux, d'après le compas de proportion que Gabard a brandi pour mesurer sur pièce le modèle. La leçon n'a pas plu au ponte des Beaux-Arts.

 

 

A l'hiver 1898, le Béarnais rêve de rentrer chez lui. Son honnêteté artistique s'accommode mal de l'intelligentsia parisienne. Il « déroge au type du sculpteur classique, homme aux longs cheveux, à la barbe dissidente, vivant à Montparnasse, soucieux surtout d'obtenir des médailles officielles » selon l'Académicien Léon Bérard en 1954.

Le sculpteur revient et s'installe d’abord rue Gassies puis, après un héritage dans l’atelier qu’il fait construire avenue Trianon.

Il réalise en 1901 sa première grande figure, moulage en plâtre : « Le Vin, homme grandeur nature ».

Son talent s'impose instantanément : la presse locale, dithyrambique, le compare à Rodin et on dit qu'il a été son élève alors qu’il ne l’a que peu consulté lors de son séjour parisien.

Le sculpteur taille avec le même dynamisme réaliste le bronze, le plâtre et le marbre. La plupart de ses créations ont figure humaine.

 

Il se marie en 1901 avec Félicie Latisnère qui lui donnera trois enfants. Odette, l’aînée hérite du goût de son père pour les arts. Pour l’amuser, en 1907, Gabard entreprend quelques dessins illustrant les histoires qu’il lui raconte : Caddetou est né et fera sûrement autant sinon plus pour la notoriété du sculpteur que l’ensemble de ses œuvres. Le vieux cocasse, sous les traits d’un paysan béarnais dans toute sa pittoresque et authentique saveur montre l’image dans laquelle chacun peut identifier son entourage. Un premier album « La Hèytes de Caddetou per Gabard » est tiré à 1500 exemplaires. D’autres suivront ainsi que des dessins d’autres personnages, des affiches, des diplômes, des menus et quantité de documents publicitaires…

 

 

Pour autant, le sculpteur continue de dessiner des projets. Il bénéficie d’une commande de deux fontaines qui sont aujourd’hui à Pau les œuvres les plus connues des sculptures signées Gabard : « La Dame au puits » inaugurée en 1913 et « La Fontaine aux enfants » que l’on ne verra qu’après la guerre de 1914-1918 au Parc Beaumont (1920) … et aujourd’hui dans le jardin du Musée des Beaux-Arts.

 

 

Féru de sport, passionné de tir à l’arc, pratiquant brillamment la pelote basque au chistéra, Gabard croque ses amis joueurs de rugby, lutteurs, lanceurs de disque, de poids, sauteurs... Il réalise des coupes et trophées pour maintes disciplines et se captive pour les débuts de l'aviation avec la présence des frères Wright à Pau au début du siècle. Son personnage Caddetou assiste à l'aventure en spectateur émerveillé.

 

Mobilisé avec le grade de Caporal, sa participation comme poilu à la guerre de 1914-1918 et à la bataille de Verdun en a fait un acteur engagé : sergent au 270e RI, il peint sur un petit carnet 42 aquarelles pleines d’humanité qui évoquent la vie au front. Il sera nommé Sous-lieutenant à Charny en 1916 et Lieutenant en 1918.

Le retour à Pau est difficile, la guerre laisse des séquelles dans le corps autant que dans l’esprit. Il faut cependant avancer et reprendre sans enthousiasme ce qui était en chantier.

Après la guerre, il crée en Béarn et environs une quinzaine de monuments aux morts se distinguant par leur style où l’émotion s’exprime avec force dans les attitudes : douleur, héroïsme, piété tels le soldat agonisant de Pontacq, le vieillard et l'enfant de Mauléon, le poilu crucifié de Monein et enfin la pleureuse de Sauveterre.

 

La fin des années 1920 et le début des années 1930 voient le sculpteur traverser une période de doute. Il obtient quelques commandes de médaillons, bustes et sculptures mais peut juste aider ses enfants à poursuivre leurs études. Son corps meurtri par la guerre est de plus en plus souvent en souffrance.

Il ira ainsi jusqu’à la fin de sa vie, toujours en labeur et créations, à la recherche de commandes aussi variées que nécessaires « pour faire bouillir la marmite ». Il connait des projets enthousiasmants comme les décorations des églises St-André à Pardies, St-Joseph et St-Julien à Pau où été conçu et réalisé par lui à partir de 1932 tout le décor sculpté de Notre-Dame. Il réalise aussi de très nombreux dessins pour les livres écrits pas ses amis et autres auteurs contemporains, il crée des services en faïence décorée, des abat-jours…

Ernest Gabard décède le 7 avril 1957 à l’âge de 78 ans alors que se tient le Salon organisé par l’Action Artistique Pyrénéenne. Sa dernière œuvre, « Joie de Vivre » y est exposée.

Après son décès, les hommages les plus élogieux sont prononcés, sa veuve organise une exposition rétrospective mais son atelier est mis en vente et ses œuvres dispersées, la municipalité ne réussissant pas à créer un musée. Une rue porte son nom en 1968. Une plaque commémorative est placée en 1972 sur la maison qu’il a occupée rue d’Orléans. Le 24 juin 1987, son nom est donné au collège de Jurançon.

L’œuvre d’Ernest Gabard se fonde sur trois grands thèmes : l’être humain, célèbre ou anonyme, la guerre et le sport.

Il est né béarnais et toute sa vie a été consacrée à la mise en valeur de son Béarn, immortalisant les grands hommes de la place, sculptant leurs bustes et figures. Grand témoin de son temps, il a dessiné et peint les sports du sud-ouest. Par ses dessins et aquarelles si expressifs préfigurant la bande dessinée il a dressé un tableau bien vivant de son environnement.

Avec une centaine de pièces, la sculpture est son œuvre majeure, mais, artiste polyvalent, il laisse aussi par dizaines des gravures, dessins et aquarelles témoignant de la vie en Béarn.

 

 

Les images dans le texte et celles de la galerie ci-dessous viennent du livre de Jacky Decaunes et des photos prises pendant la conférence. Les annotations manuscrites sont de la main d’Ernest Gabard.